Elle a basculé

Y'avait une mère de l'école avec qui j'avais sympathisé via les groupes WhatsApp de parents. Elle m'avait écrit en direct parce qu'elle semblait partager les craintes que j'exposais sur les inégalités induites par l'enseignement via email et Zoom.

Quand je voyais le bordel que c'était, entre les communications de la direction de l'école, les rectifications des énoncés des exercices, des profs qui foutent tout le monde en copie mais qui ensuite ne sont pas foutus de faire un *Reply All* aux 2 parents, on était parfois pas loin de la vingtaine d'emails par jour. Je me demandais ce que ça pouvait donner dans les familles où il n'y a pas d'ordinateur, parfois même peut-être pas de smartphone, ou en tous cas pas un par enfant.

Bref, on avait eu l'occasion d'échanger un peu, d'être critique sur l'introduction des webcams de l'école dans la maison, des limites de la technologie, de la situation. Je la connaissais de vue, du judo je crois, toujours motivée et souriante. Je savais qu'elle était architecte parce qu'elle avait participé à des ateliers pour aménager la cour de l'école. Et aussi que son mari était allemand, d'ailleurs je m'étais fait la réflexion que les allemands ont toujours été super critiques sur ces sujets là.

Aujourd'hui, après avoir longuement débattu sur le groupe WhatsApp des parents de la classe du petit à propos du choix d'utiliser Google Classroom, je me disais que je reprendrai bien contact pour voir si y'avait eu des débats intéressants dans sa classe.

Et là, au travers de sa réponse brève, j'ai senti un peu de distance. « Google Classroom? Oui, dans tous les cas on devra être préparés pour faire des cours en ligne si on se reconfine. ». Bizarre, il y avait pourtant matière à discuter un peu. On parle de créer des comptes Google à des enfants de 7 ans quand même.

Le soir, en allant chercher les enfants à l'école, quelqu'un essayait de me saluer au loin. Je m'étais mis à l'écart, sans masque, à moitié sur mon vélo. Quel rebel! C'est vrai qu'il vaut mieux être agglutiné devant le portail avec un masque. Bande de cons.

Ce n'est qu'au bout de quelques secondes que j'ai compris que c'était elle. Le choc. J'ai ressenti un truc qui doit ressembler à ce qu'on ressent quand on revoit une copine d'enfance qui se pointe avec le niqab. J'ai compris qu'elle avait basculé. Elle avait visière et masque FFP-mescouilles. Elle sortait tout droit du film Alerte!.

Elle s'était faite endoctrinée. Elle était perdue. Elle ne lutterait plus.

Son monde n'était plus le même. Et quand les mondes se séparent, les concepts se dissocient, le référentiel commun nécessaire à la circulation des idées s'effondre. Parler ne sert plus à rien.

masque + visiere, Sep 2020
masque + visiere, aperçu du specimen, 2020

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